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Colonel Spontini

Pourquoi le pouvoir dirait-il la vérité ?

Chaque français est plus malin que les autres. Comment je le sais ? Je suis français. (N'oublie pas ta douleur 14)

Publié le 25 Octobre 2022 par Colonel Spontini

Chaque français est plus malin que les autres. Comment je le sais ? Je suis français. (N'oublie pas ta douleur 14)

Chaque français est plus malin que les autres. Comment je le sais ? Je suis français.

 

La route de Carolita est droite et longue, très longue. C’est le modèle de route que l’on voit couramment dans les films américains qui se passent dans le désert. Ainsi, dans un premier temps, j’éprouve le plaisir « d’être dans le décor » en faisant remonter dans ma conscience des extraits de ces films. Mais, au bout d’une heure, comme il ne s’est rien passé, la sensation est remplacée par une autre, moins agréable, celle de trouver le temps long. On peut s’arrêter sur le bas-côté si on le désire, pour une raison ou pour une autre mais aucun point d’ombre en vue, ni arbres ni bâtisses ni rien. Donc si on s’arrête pour régler une histoire physiologique mieux vaut se dépêcher avant de griller comme un steack sur le goudron par le soleil. Maintenant que la journée est bien avancée, je dois constater n’avoir pas croisé le moindre véhicule dans les deux sens. heureusement que la voiture de Millie est récente et bien entretenue. Comme aucune antenne n’existe le long de la route, mon portable ne peut fonctionner. Mais, bah, j’ai convaincu Millie (sans mal) de surveiller mon voyage en s’assurant de mon arrivée à Carolita. Soudain, j’aperçois du mouvement au loin, je fixe le phénomène pour réaliser qu’il se passe sur la route même. Une masse en mouvement où ça a l’air de s’agiter fortement. Des vautours ! Une horde de vautours a fondu sur quelque chose étendu sur le bitume. Je m’approche en ralentissant et je vois bien une centaine de ces monstrueux oiseaux aussi laids que l’enfer. Vont-ils m’attaquer pour le fait de les déranger ? Comme les abords ne me permettent pas de faire un détour pour rester à distance, il me faut passer à proximité. Et ce que je vois me pétrifie d’horreur, c’est le cadavre d’un homme que ces bêtes de malheur sont en train de dépecer, et le travail étant déjà bien avancé, impossible de voir la couleur de la victime. Je dois faire un effort considérable pour avancer quand-même et m’éloigner le plus vite possible de ce cauchemar. Après avoir parcouru une bonne distance, je m’arrête pour sortir de la voiture, rester debout l’oeil dans le vague, insensible à l’agressivité du soleil et je sens le nœud dans mon ventre se désérer très lentement pendant que je régule ma respiration. J’espère que la vision macabre ne me poursuivra pas toute ma vie. Normalement, je devrais être à Carolita dans une heure. Cette perspective me ragaillardit et je reprends la route.

Peut-être que les moteurs ramollissent à force de tourner par de fortes chaleurs car ce sont deux bonnes heures qu’il me faut pour rallier ma destination. Mon réservoir est presque vide, de même que les deux bidons que j’avais pris soin d’embarquer en plus. Les cinq maisons qui apparaissent me réchauffent le cœur surtout celle qui comporte une pompe  à essence. Comme prévu, mais content de la voir quand-même. En plus de la pompe, la baie vitrée de derrière laisse voir un confortable établissement dédié à la nourriture et à la boisson. Éclairé avec goût, sans néons. Peut-être qu’il y a des hommes à Carolita ?

Eh non, le « Last chance before Hell » est tenu par une femme élégante, en robe rouge et talons hauts, arborant un sourire si lumineux qu’il vous fait oublier la présence de cinq cent kilomètres de désert de l’autre côté de la porte.

— Hello Billy ! me dit-elle, vous voilà enfin !

Pardon ? J’ai bien entendu « Hello Billy, vous voilà enfin ».

Soit c’est une formule rituelle non dénuée d’humour, pour accueillir les nouveaux arrivants, soit elle me prend pour Billy et je dois impérativement réagir intelligemment. Mon métier me met parfois en position de prendre une décision très très vite, quelques millisecondes. Cela peut considérablement favoriser les choses. Ok, Billy c’est moi.

— Oui, la route est longue et le soleil brille pour tout le monde, d’ailleurs il a beaucoup brillé aujourd’hui.

— On n’est pas en Alaska Billy.

— C’est la charogne sur la route qui m’a retardé.

— Ah tu l’as vue ?

— Les restes d’un type dont les vautours s’empiffraient..

— Il s’est enfui du pénitencier. Pourtant on lui avait expliqué que les murs ce n’était rien comparés au désert. Sa prison c’était le désert, il n’a pas compris. Quand on n’est pas malin, c’est ce genre de chose qui arrive.

— C’est sûr bien sûr. Mais pourquoi sur la route ?

— Il pensait sans doute voir passer quelqu’un, la voiture du shériff ou un type comme toi.

— Je suis arrivé trop tard.

— Hmmm pas forcément… installe-toi, je vais prévenir le Professeur.

« Je vais prévenir le Professeur », elle a dit cela. Heureusement que mes oreilles sont propres et que l’info commence à être traitée par mes neurones sous-corticaux. Je préssents avoir une chance de malade. Je m’installe donc derrière une table vernie équipée de bancs en bois et j’attends qu’elle ait terminé sa conversation téléphonique dont j’attrape des bribes sans les comprendre. Elle revient peu après:

— Voilà c’est fait. Tu passes la nuit ici et Askook vient te chercher demain à 7 heures.

— Heu… quelle organisation ! Je boirais bien quelque chose. Tu connais mon prénom et…

— Helen, je m’appelle Helen. Alcool ou pas alcool ?

— De l’eau gazeuse.

— Bonne idée, j’ai éjecté mon mari parce qu’il ne buvais jamais d’eau gazeuse.

Je la regarde et m’aperçois immédiatement qu’elle n’est pas dans les mêmes dispositions d’esprit que les femmes de Vaughn ce qui me soulage étant donné qu’il me faut de la concentration, sinon, je n’ai rien contre l’alcool, mais là aussi j’ai tout intérêt à garder les idées claires. Je m’abstiens de lui poser des questions sur Askook et le Professeur, il me paraît plus sage de bavarder.

— Ce soir c’est menu unique, du b…

— J’adore les surprises, j’en commande une portion et je me laisserai surprendre.

— Très bien, n’aie pas peur ce n’est pas épicé.

— Avec de l’eau gazeuse.

Elle sourit et va s’affairer derrière le bar.

— Il est loin le pénitencier ?

— Trente miles à vol d’oiseau, le double en voiture.

— Il y a du monde dedans ?

— Il est plein. C’est une prison de haute sécurité, pour les longues peines. Il y a même un couloir de la mort.

— Il était condamné à mort le type qui s’est échappé ?

— Même pas, c’était un multi-récidiviste mais il n’avait tué personne, il avait une condamnation de vingt ans dont sept déjà effectués. Par contre ils détiennent Hoagre Pulson et lui ça m’étonnerait qu’il ressorte un jour.

— Un tueur en série ?

— Oui, tellement cruel que quand Lewell Barson, le producteur qui a fait Lethal Sweet Apassionnata à voulu en faire une série, il n’a trouvé personne pour investir dedans.

— Pourtant ça ne manque pas de séries glauques.

— Oui mais celle-là….

Nous passons ainsi un bon moment au grès d’une conversation pleine d’intérêt et sans aucun rapport avec ce qui m’attend demain (qu’est-ce qu’il peut bien m’attendre demain ?). Pendant que nous parlons, une jeune fille, toute menue fait son entrée et Helen lui dit « Bonsoir Nascha tu en fera deux chérie et tu préparera les poulets pour demain ». La jeune fille se faufile dans la cuisine et dans la demie-heure une odeur de bon aloi vient envahir nos narines.

— Nascha est Navajo. Je lui apprends notre cuisine et elle m’enseigne celle des siens.

— Aujourd’hui, si j’en crois mon nez, ce sera ta cuisine.

— Tu verras, elle va venir te servir bientôt.

En attendant, je bois mon eau gazeuse tranquillement pendant que la patronne du « Last Chance » s’affaire derrière son comptoir.

— Il y a une chose qui m’intrigue depuis que je suis arrivé dans le coin…

Elle me jette un œil en coin en attendant la suite,

— … ça fait deux jours que je suis là et je n’ai pas vu un seul homme, même pas un gamin…

Elle prit son temps

— Les hommes boivent, surtout dans le désert…. les femmes n’ont pas besoin d’hommes qui boivent.

— Ah je vois…

À mon tour de laisser courir un silence taiseux,

— Mais, c’est bizarre… j’ai dans l’idée qu’il y a une autre raison.

Je dis cela au petit bonheur, histoire de causer et parce que c’est quand-même bizarre comme phénomène.

Elle s’arrête de laver le même verre pour la huitième fois et semble peser le pour et le contre de sa réponse,

— L’autre problème avec les hommes est qu’ils sont armés.

— Et alors ?

— C’est une menace.

— Pour qui ? Pour les femmes ?

— Elles sont armées aussi.

— Pour qui alors ?

Elle va chercher une canette d’eau gazeuse, prend son temps pour l’ouvrir, remplir son verre et en absorber une gorgée,

— Pour les Navajos.

— Mais… ils sont armés aussi non ?

— Bien sûr, mais ils sont prudents aussi.

— Prudents ?

— Oui, ils préfèrent que la zone soit démilitarisée pour ainsi dire, ça fait baisser la pression et ça augmente le sentiment de sécurité.

— Et… ils ont obtenu le désarmement des gens du secteur ?

— Nous sommes dans leur réserve et le conseiller du gouverneur est né ici.

— Mais… et les hommes ?

— Ils sont partis, ils ont mis les bouts, ils ont fait leurs valises et ont décampé sans dire au revoir ni se retourner.

— Mais… ?

— Un homme sans arme c’est un homme à poil.

Je la regarde en pensant qu’elle aussi est sans arme. Puis la petite Nascha vient nous interrompre avec une assiette bien garnie et bien fumante. Elle la pose devant moi avec tout le matériel requis pour en avaler le contenu. Je hume, je regarde et je conclue, à ma grande surprise:

— Un bœuf Marengo, quelle surprise !

Grand sourire des deux femmes. Ce sont les carottes coupées en rondelles qui m’ont mis sur la piste. Mon allégeance à l’eau gazeuse m’interdit d’envisager un rouge qui serait en accord, et c’est bien dommage. D’ailleurs la carte des vins doit être assez courte. La viande est un peu dure et la sauce témoigne d’une inventivité locale très audacieuse mais, dans l’ensemble, le plaisir est bien là.

La café qui suit est un café américain, autrement dit, il est aussi inoffensif qu’un verre d’eau, ce n’est pas lui qui va m’empêcher de dormir mais je crains quand-même de ne pas fermer l’œil.

Et je ne ferme pas l’œil.

 

James Wang faisait remarquer, dans sa série, Evil’s blood uploader, que l’ennemi de l’homme, ce n’est pas une menace particulière, mais c’est l’incertitude. Son héros ne redoute pas d’être décapité par le gang du quartier puisqu’il lui suffit d’anticiper en décapitant ceux qui lui veulent du mal. Par contre, il supporte très mal que sa mère ne lui ait pas dit « bonsoir mon cœur » avant d’aller se coucher. Aurait-elle oublié, ou l’aime-t-elle moins qu’avant ?

 

À l’aube, aucun coq ne chante. Peut-être qu’ils sont partis avec les hommes ? Le soleil levant emplit le désert d’une lumière somptueuse, intense et légère. Je me demande quel être, parmi nous les humains, mérite une lumière pareille. Même le plus vertueux est en dessous d’une telle beauté. Je me lève parce qu’il est inutile de rester couché. Une douche rapide, mes affaires dans ma valise, et je descends avant tout le monde. Normal, il n’est même pas cinq heures. Je trouve le moyen de fabriquer un café après avoir découvert l’existence d’un percolateur en état de marche. Ainsi mon histoire pourrait s’appeler Un expresso dans le désert. Je me met sur une chaise dehors en regardant la seule chose qui bouge, le soleil, ou plutôt la Terre, parce qu’au fond c’est elle qui tourne. Et je me sens minuscule. Si le monde avait du sens, les petits êtres que nous sommes ne seraient pas honorés d’une Nature aussi belle. Mais, d’un autre côté, on peut aussi se dire qu’on a une chance de cocus et qu’on ferait mieux d’admirer tout ça la bouche bée. Non ? Sans la ramener quoi.

Après mon quinzième café, je suis dans un état dans lequel je n’aurais jamais dû me mettre et un pick-up soulève la poussière en roulant dans notre direction. Helen me rejoint:

— Voilà Askook, Billy, il est très ponctuel. Les navajos sont toujours très ponctuels.

— J’ai mal à la tête.

— N’essaie pas de lui parler s’il ne te parle pas.

— Ok.

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