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Colonel Spontini

Pourquoi le pouvoir dirait-il la vérité ?

colonel.spontini@gmail.com

Publié le 25 Octobre 2022 par Colonel Spontini

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Chaque français est plus malin que les autres. Comment je le sais ? Je suis français. (N'oublie pas ta douleur 14)

Publié le 25 Octobre 2022 par Colonel Spontini

Chaque français est plus malin que les autres. Comment je le sais ? Je suis français. (N'oublie pas ta douleur 14)

Chaque français est plus malin que les autres. Comment je le sais ? Je suis français.

 

La route de Carolita est droite et longue, très longue. C’est le modèle de route que l’on voit couramment dans les films américains qui se passent dans le désert. Ainsi, dans un premier temps, j’éprouve le plaisir « d’être dans le décor » en faisant remonter dans ma conscience des extraits de ces films. Mais, au bout d’une heure, comme il ne s’est rien passé, la sensation est remplacée par une autre, moins agréable, celle de trouver le temps long. On peut s’arrêter sur le bas-côté si on le désire, pour une raison ou pour une autre mais aucun point d’ombre en vue, ni arbres ni bâtisses ni rien. Donc si on s’arrête pour régler une histoire physiologique mieux vaut se dépêcher avant de griller comme un steack sur le goudron par le soleil. Maintenant que la journée est bien avancée, je dois constater n’avoir pas croisé le moindre véhicule dans les deux sens. heureusement que la voiture de Millie est récente et bien entretenue. Comme aucune antenne n’existe le long de la route, mon portable ne peut fonctionner. Mais, bah, j’ai convaincu Millie (sans mal) de surveiller mon voyage en s’assurant de mon arrivée à Carolita. Soudain, j’aperçois du mouvement au loin, je fixe le phénomène pour réaliser qu’il se passe sur la route même. Une masse en mouvement où ça a l’air de s’agiter fortement. Des vautours ! Une horde de vautours a fondu sur quelque chose étendu sur le bitume. Je m’approche en ralentissant et je vois bien une centaine de ces monstrueux oiseaux aussi laids que l’enfer. Vont-ils m’attaquer pour le fait de les déranger ? Comme les abords ne me permettent pas de faire un détour pour rester à distance, il me faut passer à proximité. Et ce que je vois me pétrifie d’horreur, c’est le cadavre d’un homme que ces bêtes de malheur sont en train de dépecer, et le travail étant déjà bien avancé, impossible de voir la couleur de la victime. Je dois faire un effort considérable pour avancer quand-même et m’éloigner le plus vite possible de ce cauchemar. Après avoir parcouru une bonne distance, je m’arrête pour sortir de la voiture, rester debout l’oeil dans le vague, insensible à l’agressivité du soleil et je sens le nœud dans mon ventre se désérer très lentement pendant que je régule ma respiration. J’espère que la vision macabre ne me poursuivra pas toute ma vie. Normalement, je devrais être à Carolita dans une heure. Cette perspective me ragaillardit et je reprends la route.

Peut-être que les moteurs ramollissent à force de tourner par de fortes chaleurs car ce sont deux bonnes heures qu’il me faut pour rallier ma destination. Mon réservoir est presque vide, de même que les deux bidons que j’avais pris soin d’embarquer en plus. Les cinq maisons qui apparaissent me réchauffent le cœur surtout celle qui comporte une pompe  à essence. Comme prévu, mais content de la voir quand-même. En plus de la pompe, la baie vitrée de derrière laisse voir un confortable établissement dédié à la nourriture et à la boisson. Éclairé avec goût, sans néons. Peut-être qu’il y a des hommes à Carolita ?

Eh non, le « Last chance before Hell » est tenu par une femme élégante, en robe rouge et talons hauts, arborant un sourire si lumineux qu’il vous fait oublier la présence de cinq cent kilomètres de désert de l’autre côté de la porte.

— Hello Billy ! me dit-elle, vous voilà enfin !

Pardon ? J’ai bien entendu « Hello Billy, vous voilà enfin ».

Soit c’est une formule rituelle non dénuée d’humour, pour accueillir les nouveaux arrivants, soit elle me prend pour Billy et je dois impérativement réagir intelligemment. Mon métier me met parfois en position de prendre une décision très très vite, quelques millisecondes. Cela peut considérablement favoriser les choses. Ok, Billy c’est moi.

— Oui, la route est longue et le soleil brille pour tout le monde, d’ailleurs il a beaucoup brillé aujourd’hui.

— On n’est pas en Alaska Billy.

— C’est la charogne sur la route qui m’a retardé.

— Ah tu l’as vue ?

— Les restes d’un type dont les vautours s’empiffraient..

— Il s’est enfui du pénitencier. Pourtant on lui avait expliqué que les murs ce n’était rien comparés au désert. Sa prison c’était le désert, il n’a pas compris. Quand on n’est pas malin, c’est ce genre de chose qui arrive.

— C’est sûr bien sûr. Mais pourquoi sur la route ?

— Il pensait sans doute voir passer quelqu’un, la voiture du shériff ou un type comme toi.

— Je suis arrivé trop tard.

— Hmmm pas forcément… installe-toi, je vais prévenir le Professeur.

« Je vais prévenir le Professeur », elle a dit cela. Heureusement que mes oreilles sont propres et que l’info commence à être traitée par mes neurones sous-corticaux. Je préssents avoir une chance de malade. Je m’installe donc derrière une table vernie équipée de bancs en bois et j’attends qu’elle ait terminé sa conversation téléphonique dont j’attrape des bribes sans les comprendre. Elle revient peu après:

— Voilà c’est fait. Tu passes la nuit ici et Askook vient te chercher demain à 7 heures.

— Heu… quelle organisation ! Je boirais bien quelque chose. Tu connais mon prénom et…

— Helen, je m’appelle Helen. Alcool ou pas alcool ?

— De l’eau gazeuse.

— Bonne idée, j’ai éjecté mon mari parce qu’il ne buvais jamais d’eau gazeuse.

Je la regarde et m’aperçois immédiatement qu’elle n’est pas dans les mêmes dispositions d’esprit que les femmes de Vaughn ce qui me soulage étant donné qu’il me faut de la concentration, sinon, je n’ai rien contre l’alcool, mais là aussi j’ai tout intérêt à garder les idées claires. Je m’abstiens de lui poser des questions sur Askook et le Professeur, il me paraît plus sage de bavarder.

— Ce soir c’est menu unique, du b…

— J’adore les surprises, j’en commande une portion et je me laisserai surprendre.

— Très bien, n’aie pas peur ce n’est pas épicé.

— Avec de l’eau gazeuse.

Elle sourit et va s’affairer derrière le bar.

— Il est loin le pénitencier ?

— Trente miles à vol d’oiseau, le double en voiture.

— Il y a du monde dedans ?

— Il est plein. C’est une prison de haute sécurité, pour les longues peines. Il y a même un couloir de la mort.

— Il était condamné à mort le type qui s’est échappé ?

— Même pas, c’était un multi-récidiviste mais il n’avait tué personne, il avait une condamnation de vingt ans dont sept déjà effectués. Par contre ils détiennent Hoagre Pulson et lui ça m’étonnerait qu’il ressorte un jour.

— Un tueur en série ?

— Oui, tellement cruel que quand Lewell Barson, le producteur qui a fait Lethal Sweet Apassionnata à voulu en faire une série, il n’a trouvé personne pour investir dedans.

— Pourtant ça ne manque pas de séries glauques.

— Oui mais celle-là….

Nous passons ainsi un bon moment au grès d’une conversation pleine d’intérêt et sans aucun rapport avec ce qui m’attend demain (qu’est-ce qu’il peut bien m’attendre demain ?). Pendant que nous parlons, une jeune fille, toute menue fait son entrée et Helen lui dit « Bonsoir Nascha tu en fera deux chérie et tu préparera les poulets pour demain ». La jeune fille se faufile dans la cuisine et dans la demie-heure une odeur de bon aloi vient envahir nos narines.

— Nascha est Navajo. Je lui apprends notre cuisine et elle m’enseigne celle des siens.

— Aujourd’hui, si j’en crois mon nez, ce sera ta cuisine.

— Tu verras, elle va venir te servir bientôt.

En attendant, je bois mon eau gazeuse tranquillement pendant que la patronne du « Last Chance » s’affaire derrière son comptoir.

— Il y a une chose qui m’intrigue depuis que je suis arrivé dans le coin…

Elle me jette un œil en coin en attendant la suite,

— … ça fait deux jours que je suis là et je n’ai pas vu un seul homme, même pas un gamin…

Elle prit son temps

— Les hommes boivent, surtout dans le désert…. les femmes n’ont pas besoin d’hommes qui boivent.

— Ah je vois…

À mon tour de laisser courir un silence taiseux,

— Mais, c’est bizarre… j’ai dans l’idée qu’il y a une autre raison.

Je dis cela au petit bonheur, histoire de causer et parce que c’est quand-même bizarre comme phénomène.

Elle s’arrête de laver le même verre pour la huitième fois et semble peser le pour et le contre de sa réponse,

— L’autre problème avec les hommes est qu’ils sont armés.

— Et alors ?

— C’est une menace.

— Pour qui ? Pour les femmes ?

— Elles sont armées aussi.

— Pour qui alors ?

Elle va chercher une canette d’eau gazeuse, prend son temps pour l’ouvrir, remplir son verre et en absorber une gorgée,

— Pour les Navajos.

— Mais… ils sont armés aussi non ?

— Bien sûr, mais ils sont prudents aussi.

— Prudents ?

— Oui, ils préfèrent que la zone soit démilitarisée pour ainsi dire, ça fait baisser la pression et ça augmente le sentiment de sécurité.

— Et… ils ont obtenu le désarmement des gens du secteur ?

— Nous sommes dans leur réserve et le conseiller du gouverneur est né ici.

— Mais… et les hommes ?

— Ils sont partis, ils ont mis les bouts, ils ont fait leurs valises et ont décampé sans dire au revoir ni se retourner.

— Mais… ?

— Un homme sans arme c’est un homme à poil.

Je la regarde en pensant qu’elle aussi est sans arme. Puis la petite Nascha vient nous interrompre avec une assiette bien garnie et bien fumante. Elle la pose devant moi avec tout le matériel requis pour en avaler le contenu. Je hume, je regarde et je conclue, à ma grande surprise:

— Un bœuf Marengo, quelle surprise !

Grand sourire des deux femmes. Ce sont les carottes coupées en rondelles qui m’ont mis sur la piste. Mon allégeance à l’eau gazeuse m’interdit d’envisager un rouge qui serait en accord, et c’est bien dommage. D’ailleurs la carte des vins doit être assez courte. La viande est un peu dure et la sauce témoigne d’une inventivité locale très audacieuse mais, dans l’ensemble, le plaisir est bien là.

La café qui suit est un café américain, autrement dit, il est aussi inoffensif qu’un verre d’eau, ce n’est pas lui qui va m’empêcher de dormir mais je crains quand-même de ne pas fermer l’œil.

Et je ne ferme pas l’œil.

 

James Wang faisait remarquer, dans sa série, Evil’s blood uploader, que l’ennemi de l’homme, ce n’est pas une menace particulière, mais c’est l’incertitude. Son héros ne redoute pas d’être décapité par le gang du quartier puisqu’il lui suffit d’anticiper en décapitant ceux qui lui veulent du mal. Par contre, il supporte très mal que sa mère ne lui ait pas dit « bonsoir mon cœur » avant d’aller se coucher. Aurait-elle oublié, ou l’aime-t-elle moins qu’avant ?

 

À l’aube, aucun coq ne chante. Peut-être qu’ils sont partis avec les hommes ? Le soleil levant emplit le désert d’une lumière somptueuse, intense et légère. Je me demande quel être, parmi nous les humains, mérite une lumière pareille. Même le plus vertueux est en dessous d’une telle beauté. Je me lève parce qu’il est inutile de rester couché. Une douche rapide, mes affaires dans ma valise, et je descends avant tout le monde. Normal, il n’est même pas cinq heures. Je trouve le moyen de fabriquer un café après avoir découvert l’existence d’un percolateur en état de marche. Ainsi mon histoire pourrait s’appeler Un expresso dans le désert. Je me met sur une chaise dehors en regardant la seule chose qui bouge, le soleil, ou plutôt la Terre, parce qu’au fond c’est elle qui tourne. Et je me sens minuscule. Si le monde avait du sens, les petits êtres que nous sommes ne seraient pas honorés d’une Nature aussi belle. Mais, d’un autre côté, on peut aussi se dire qu’on a une chance de cocus et qu’on ferait mieux d’admirer tout ça la bouche bée. Non ? Sans la ramener quoi.

Après mon quinzième café, je suis dans un état dans lequel je n’aurais jamais dû me mettre et un pick-up soulève la poussière en roulant dans notre direction. Helen me rejoint:

— Voilà Askook, Billy, il est très ponctuel. Les navajos sont toujours très ponctuels.

— J’ai mal à la tête.

— N’essaie pas de lui parler s’il ne te parle pas.

— Ok.

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Italian pasta

Publié le 22 Octobre 2022 par Colonel Spontini

Italian pasta

Barilla trop américain et pas assez italien ? C'est en tout cas l'avis de deux clients, vivant aux États-Unis, Matthew Sinatro et Jessica Prost, qui ont engagé des poursuites contre la célèbre entreprise alimentaire. En cause ? L'impression première, après avoir acheté plusieurs boîtes de pâtes, que ces dernières étaient produites en Italie. Mais malgré le slogan de la marque - qui se revendique comme la «première marque de pâtes en Italie» -, ses produits sont fabriqués dans les États de l'Iowa et dans celui de New York. Aux États-Unis donc. Les deux consommateurs accusent la marque de publicité mensongère. Le juge, qui s'est saisi du dossier, indique que les clients pourraient être induits en erreur par le marketing des produits. Ces derniers présentant sur ses emballages bleus des couleurs verte, rouge et blanche, rappelant celles du drapeau italien.

Selon le couple, la société italienne aurait cherché à profiter du fait que les consommateurs étaient prêts à payer plus cher des produits qu'ils croyaient venus d'Italie. Le couple blâme par ailleurs Barilla d'avoir voulu réduire ses coûts de production en fabriquant ses pâtes aux États-Unis. Face à ces accusations, l'entreprise italienne indique sur son site qu'une grande majorité de ses aliments vendus aux États-Unis sont bien fabriqués sur le sol américain et que cette information est bien présente sur les paquets. À l’exception de certaines pâtes comme les tortellinis ou encore les lasagnes qui, elles, sont confectionnées en Italie. Barilla précise également que ses machines américaines sont les mêmes que celles présentes dans ses usines européennes.

Malgré ces précisions, le juge a rejeté la requête de Barilla qui refusait le procès, affirmant que les clients avaient bien subi un «préjudice économique». Si Matthew Sinatro et Jessica Prost demandent une compensation financière, ils souhaitent également que la justice empêche Barilla d'utiliser des marqueurs italiens sur ses emballages.

Source: Le Figaro

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N'oublie pas ta douleur (13)

Publié le 20 Octobre 2022 par Colonel Spontini

N'oublie pas ta douleur (13)

13

Le monde est complexe mais il le serait moins si les humains avaient la bonne idée de débarrasser le plancher (anonyme XXIème siècle)

 

Le soir tombe sur Vaughn et rien ne me permet de savoir comment va se passer ma nuit. Peut-être serai-je toujours vivant demain ? Je constate l’absence de poste de police de même qu’aucune caserne de pompiers n’est présente non plus. Bizarre pour une agglomération dotée d’un aérodrome. Ah mais oui ! Le camion de pompiers doit se trouver dans le hangar du tarmac avec des volontaires prêt à courir jusque là. Peut-être y a-t-il des hommes à Vaughn ? Je tourne à petite vitesse dans la Toyota de Molly , jouissant de la clim, mais sans arriver à voir personne. Par contre j’avise une antenne pour les téléphones portables, ce qui va me permet de mettre en œuvre un appel qui m’apportera peut-être une réponse à la question qui me titille depuis un bon bout de temps. L’antenne sert de hampe à un drapeau américain et les rideaux de la maison devant laquelle je suis garé vienne de bouger. Il me souvient subitement qu’une seconde antenne doit se trouver à l’aérodrome, j’ai du le capter inconsciemment. Et à l’ombre du hangar où je me gare, je constate avec contentement qu’elle existe bien, quoique sans drapeau. 18h ici, ça fait dans les dix heures en France. Ça sonne cinq fois puis un répondeur se croit obligé de me dicter ma conduite. Je refais le même numéro et cette fois c’est la bonne, j’ai Brun au bout du fil.

— Bonjour monsieur Brun, je vous appelle du Nouveau Mexique.

— La lettre est là bas ?

— Peut-être ou peut-être pas, mais j’ai une bonne piste et une idée assez précise d’où elle se trouve.

— Vous pensez l’avoir bientôt ?

— Impossible à dire. Je vous appelle pour vous tenir au courant et obtenir votre autorisation de continuer.

— Bien sûr que vous continuez, je n’ai pas changé d’avis.

— Il faut que je vous dise aussi une chose que j’ai découverte en faisant mon enquête.

— Je vous écoute.

— La lettre à été volée.

— Je vois et… où est le problème ? Ou plutôt, cela rajoute-t-il un problème supplémentaire ?

— Eh bien, c’est pour cela que je vous en parle, il est fort possible que pour la récupérer il faille la dérober à celui qui l’a volée.

— Voler la lettre au voleur ?

— Lui, il ne portera sûrement pas plainte, mais le propriétaire lui, on ne sais pas ce qu’il peut faire.

— Je vois. Eh bien, c’est très simple, aucun moyen pour la récupérer ne me pose de cas de conscience, voyez-vous, à vrai dire vous ne m’en parleriez pas que ça ne me gênerait pas du tout. Par la suite, s’il y avait des complications, j’en assumerai toutes les conséquences, soyez-en sûr.

— Voilà qui est clair et net, j’apprécie. Je devine que ce document à une importance cruciale pour vous.

— Si ce n’était que pour moi…

Je n’insiste pas et soudain, avant de raccrocher, je me souviens de la question qu’il faut poser:

— Ah, je voulais vous demander autre chose, comment Dufour s’est-il retrouvé chez vous ? Vous l’avez invité ?

— Oui, je l’ai invité. Vous pensez bien qu’en étant concerné par Mandeville comme je le suis, c’était bien normal de vouloir le rencontrer.

— Il y a une chose que je ne comprends pas monsieur Brun: avant que Dufour ne vous parle de la lettre, pourquoi étiez-vous concerné par Mandeville.

— Hmmm…. j’aime bien votre question Zantor parce qu’elle me prouve que j’ai bien fait de vous embaucher.

— Pourquoi avez-vous bien fait de m’embaucher ?

— Parce que vous avez de la jugeote.

— Merci…

— Et… la réponse c’est que je connaissais déjà l’existence de cette lettre.

Et vous avez rencontré Dufour dans l’espoir d’en savoir plus Avant d’entamer…

— … des recherches plus sérieuses ?

— Oui mais, il n’y avait plus de recherches à mener puisque Dufour m’avait révélé qu’il détenait la lettre.

— Et pourquoi m’avez-vous embauché ?

— Pour lui piquer.

— Vous auriez dû me le dire dès le début.

— Oui mais, je préférais que vous découvriez vous même la situation. C’est lui qui l’a volée ?

— Sans doute, mais je n’en ai pas la preuve, d’ailleurs je n’ai pas non plus la preuve formelle qu’elle est en sa possession.

— Effectivement et je vais insister sur un autre point monsieur Zantor: votre présence au Nouveau Mexique.

— Hmm.. c’est lié.

— À croire que oui.

— Mais comment ?

— À vous de le découvrir Zantor.

— Et… selon vous… quel rôle il joue Dufour dans tout ça ?

— Le rôle d’une sangsue et…

— Et quoi ?

— Vous allez voir Klugerman non ?

— Comment le savez-vous ?

— Peu importe, je le sais. Ce qui est important à présent, c’est ce qu’il va vous apprendre.

— Et s’il ne m’apprend rien ?

— Ne faites pas le benêt Zantor, ça ne vous va pas vous qui avez de la jugeote. Vous savez vous adapter aux situations imprévues non ?

— Heu… oui, ça m’est arrivé.

— Eh bien à vous de jouer.

Et Brun me laisse comme ça sur le tarmac de l’aérodrome de Vaughn avec des points d’interrogation dans la tête, si nombreux que je ne sais pas comment programmer la suite de la soirée. Et en retournant, lentement, dans le centre de Vaughn (le centre ! Il n’y a même pas de périphérie !) je décide de la jouer taoïste, c’est-à-dire comme si j’étais sur la Voie, en train de me détacher du cours des choses, abandonné à mes seuls actes réflexes.

Le sourire de Marta à mon arrivée dans son bar, n’a pas d’autre existence que la myriades d’étoiles qui sont en train de décorer le ciel de la nuit qui vient. Nous échangeons des mots légers en rapport, sans doute, avec une connivence qui a du s’installer entre nous. Et nous voilà, Marta et moi, en train de deviser de choses et d’autres, de part et d’autre de tamales aux gombos à la saveur étrange mais bonne et une bière légère pour faire passer. La bière de Jacques Chirac. Il me faut du temps pour lui situer Chirac. Autant qu’un type qui voudrait vous expliquer la personnalité et les motivations d’un politicien kosovar au moment où il entre dans le tribunal. Puis, les tamales terminés, le dessert aussi, et un dernier verre, Marta me dit:

-— Tu peux prendre une douche Léonard, j’ai allumé le chauffe-eau.

— Je la prendrai demain.

— Non, ce soir, je ne voudrais pas avoir allumé le chauffe-eau pour rien.

Voyez le genre.

Je monte dans ma chambre alors qu’elle commence à éteindre les lumières.

Je prends ma douche et je me glisse dans le lit en priant le Très Haut pour que la suite soit paisible et harmonieuse.

Elle se fait attendre, bien sûr. Vous connaissez des femmes qui ne se font pas attendre ? Nous n’avons aucune obligation réciproque, nous sommes tous les deux des adultes qui menons nos vies en adultes, en toute liberté, et elle trouve le moyen de se faire attendre alors que je n’ai aucune raison de l’attendre. Si je suis dans ce lit c’est pour dormir.

Non ?

Non.

Je somnole, je somnole tellement que le sommeil m’a déjà pris presqu’entièrement, bien que je sache qu’une affaire en cours n’est pas arrivée à terme. Et des coups sur la porte se font entendre. Je grommèle et immédiatement la porte s’ouvre (Je n’avais pas fermé à clé ?) sur Marta en tenue légère. Du moins à la faible lueur régnant dans la pièce, je la vois plus dévêtue que tout-à-l’heure. Elle est attirante, aucun doute et je ne vois pas d’inconvénient à sa venue à mes côtés dans mon lit, alors qu’elle n’a pas demandé la permission.

La suite, au fond, ne m’étonne guère, car pour vous faire une confidence, ça fait un sacré bout de temps que je savais que ce qui arrive maintenant devait arriver.

Croyez-moi si vous voulez, mais les révélations de Brun ne sont pas étrangères à mon abandon dans les profondeurs de Marta, car quand les idées se bousculent en trop grand nombre dans la tête, rien de mieux qu’une étreinte suivie d’autres étreintes avec une libellule du désert comme Marta.

Le reste de la nuit contient le contentement d’avoir traversé en dehors des clous le chemin du désir charnel agrémenté d’une toute nouvelle affection.

Au petit matin, je suis réveillé par les ronflements de Marta, alors que je pensais que c’était moi qui ronfle en général, et qui réveille la voisine.

Je vais prendre une nouvelle douche mais le chauffe-eau a du s’arrêter dans la nuit car l’eau est froide, mais à l’aube d’une journée torride, l’inconvénient n’en est pas un.

Je descends faire un café et vers 7 heures, madame Davy Crokett fait son entrée.

Je lui sers un café, et comme si une onde avait monté les escaliers pour sonner l’alarme, Marta arrive en ajustant le bouton de son jean.

Une heure plus tard, j’ai réglé ma chambre et le reste et, sous le regard des deux amazones auquel s’est ajouté celui de cinq autres clientes, je pousse la porte et monte dans la voiture après avoir placé ma valise dans le coffre. Je démarre sur les chapeaux de roues en saluant la sympathique assemblée dans laquelle je distingue Millie qui vient d’arriver. Je quitte Vaughn sans savoir si un homme au moins y vit.

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Pourvu que ça dure

Publié le 16 Octobre 2022 par Colonel Spontini

Pourvu que ça dure

12

Pourvu que ça dure

 

Le lieutenant colonel Morlet et son co-pilote René Labarbe volaient en direction du sud aux commande de leur bombardier léger Blenheim. Le soleil, sur leur droite, commençait son mouvement descendant vers l’horizon. Pour le moment ils suivaient la route du Tchad et ils ne tardèrent pas à atteindre Gatroum avec la radio duquel ils se signalèrent. Comme les hommes qu’ils recherchaient, mais ceux-ci se déplaçaient dans la Jeep de Delange. Plus bas, la route se changeait en piste et les trois cahutes de Tejahi apparurent. Aucun signe de vie. Après trois boucles à basse altitude, ils décidèrent de continuer et pour ce faire, ils n’avaient que la recommandation de Dilong comme option. Ils obliquèrent direction ouest et se retrouvèrent face au soleil. Leurs lunettes de vol n’étant pas des lunettes de soleil, ils devaient plisser les yeux et, de ce fait, observer le sol devenait plus difficile. Ils volèrent ainsi pendant une bonne heure et de tout ce temps, ils n’aperçurent que du désert, aucune trace humaine, ni même animale. Que du désert. Avec des sortes de collines, voire des petites montagnes d’un brun sombre faisant contraste avec l’ocre clair du sable. Ils s’avançaient dans une espèce de vallée, très évasée et peu profonde avec les reliefs sur les côté en guise de contreforts. Le soleil devenait très bas.

— Il va falloir retourner Colonel, on a juste ce qu’il faut de carburant dans le réservoir.

— Oui, on dirait qu’on est venus pour rien.

— Le contraire m’aurait étonné.

— Ces pauvres types doivent bien être quelque part quand-même !

— Malheureusement, il y en a beaucoup des « quelque part ».

— On reviendra René, on reviendra.

Et il bascula le bimoteur vers la droite pour reprendre la direction du nord.

C’est dans la vallée d’à côté que René repéra quelque chose. Ils avaient maintenant le soleil à gauche qui envoyait ses rayons au raz du sol. Les meilleures conditions pour observer le sol. Une configuration bizarre au milieu de la vallée, une configuration de tâches presque rondes, ou plutôt de trous puisqu’au milieu de ces trois tâches grises se trouvaient trois tâches noires comme des trous.

— On descend pour voir.

À 50m d’altitude, ils envisagèrent d’attribuer une dizaine de mètres de diamètre à chacune des taches. Et constatèrent qu’elles avaient une forme d’entonnoirs, le trou au milieu. Ils passèrent plusieurs fois au dessus de l’étrange monument naturel sans en apprendre plus long pour autant. Et soudain ils aperçurent une forme trop régulière pour être naturelle juste à côté des trous, devant une émergence rocheuse.

— Il faut atterrir, René.

— Le jour va tomber d’ici quelques dizaines de minutes mon colonel.

— Tant pis ! Si on ne va pas voir maintenant, on ne verra jamais.

— On peut revenir demain.

— Tu sauras retrouver cet endroit ? Tu sais bien que non.

— Oui, bien sûr, mais si on atterrit, on ne va pas pouvoir redécoller avant demain, si jamais on trouve du terrain dur pour nous poser.

— Je pense que c’est du dur, tu ne crois pas ?

— Hmmm, j’ai aussi cette impression colonel, mais vous savez bien que dans le désert….

— Oui, je sais !

Et dans les tous derniers rayons du soleil, ils se mirent dans l’axe de la vallée et s’engagèrent dans l’atterrissage le plus improbable de leurs carrières respectives.

Le contact des roues avec le sol fut rude mais n’empêcha pas le roulage de l’appareil. Ils roulèrent sur trois cent mètres et la chance devait être de leur côté puisqu’aucun affaissement sableux ne se trouva là pour les enliser pour l’éternité. Le Blenheim s’arrêta et René coupa le contact.

— On est toujours vivants colonel, profitons-en pour progresser.

— Comme tu dis René, comme tu dis.

Ils s’empressèrent de sauter à terre pour aller inspecter la forme.

— Ne courez pas colonel, il fait encore chaud.

Labarbe avait raison, si on est imprudent et désordonné dans le désert, on n’y fait pas de vieux os ou plutôt des os et rien d’autre qui blanchiront au soleil.

Plus Morlet s’approchait de la forme, en jugulant son impatience, plus il savait ce qu’elle était. Dans l’ombre qui s’étendait maintenant rapidement il arriva devant une Jeep. Vide bien sûr et… garée, comme si les occupant n’allaient pas tarder à revenir.

— La Jeep du colonel Delange, déclara Labarbe en arrivant à son tour.

Ils l’examinèrent. Les pneus gonflés, le pare brise intact, le volant fonctionnel, le moteur intact aussi et même la batterie était encore chargée. Ils le constatèrent en appuyant sur le démarreur qui lança le moteur dès la première tentative. Le réservoir et l’un des jerrycans sanglés à l’arrière, contenaient encore de l’essence. Ils s’assirent sur les sièges, côte à côte, en se grattant la tête, pour ainsi dire mentalement.

— Qu’est-ce qu’ils sont venus foutre ici ?

— Voir les trous ?

— Voir les trous ? Ça ne tient pas debout, ils ne pouvaient pas en connaître l’existence.

— Qu’est-ce que vous en pensez de ces trous mon colonel ?

— Un phénomène naturel.

— Quel genre de phénomène ?

— As-tu une idée ?

— Des météorites.

— Tu crois ?

— J’ai déjà vu des trous comme ça.

— Ah bon ?

— Dans Sciences pour tous j’ai abonné le gamin mais je le lis aussi.

— Où ça.

— Tassili, on y est. Mais si je me souviens bien, dans le magazine il y avait une différence.

— Laquelle ?

— Sur les photos, il n’y avait pas de trou noir au fond.

— Ça veut dire, voyons-voir, ça voudrait dire que c’est creux en dessous.

— C’est ce que je me dis aussi.

Maintenant, la nuit avait envahi tout l’espace autour d’eux et la température baissait rapidement. Ils regagnèrent leur avion où les attendaient des couvertures et des boîtes de conserve que Labarbe avait eu la sagesse d’embarquer. Et, sous la lune dont la lumière entrait dans le cockpit, ils s’emmitouflèrent pour ouvrir au couteau des boîtes de corneed beef accompagnée de carta musica, le pain du désert inventé par les sardes. Par précaution, ils avaient remonté l’échelle d’accès au poste de pilotage. Pour entrer dans un Blenheim il faut passer par en dessous.

— Et ta femme et les gosses René, tu les tiens au courant ?

— Je leur envoie une lettre chaque semaine.

— Ils sont arrivés à Alger ?

— Oui, en principe, mais vous savez que pour le courrier qu’on nous envoie, il faut attendre longtemps parfois.

— Je sais, moi ça fait deux mois que je n’ai rien reçu de la mienne.

— Ils ont changé de nom, ça complique.

— Ça complique mais c’est plus sûr.

— Votre fils il grandit ?

— Oui, il aura trois ans en juin, le 7.

— Le petit Michel deviendra grand.

La remarque de René rendit Morlet méditatif. Il se prénommait aussi Michel et la décision d’attribuer le même prénom au fils relevait d’une décision de sa femme. Comme si elle avait voulu conjurer les pires des augures. Sa femme lui manquait, son fils lui manquait. Il regarda la lune en sentant une larme couler sur sa joue.

Les deux hommes auraient pu dormir dehors, enterrés dans le sable, comme le faisaient les autochtones, ils auraient eu plus chaud. Mais ils en avaient vu d’autre et il ne fallut pas plus d’une demie heure pour que Morlet entende le ronflement de René. Étonnant comment cet homme pouvait dormir n’importe où et n’importe comment. Lui, Morlet, ne dormait pas. À vrai dire, ce n’était ni à cause du froid ni même de par des capacités d’adaptation moins bonnes, il avait connu bien pire. Il ne dormait pas sans trop savoir pourquoi ou plutôt, il se demandait quel pouvait bien être la signification d’une Jeep garée là en plein désert à des centaines de kilomètres de tout lieu habité par des humains. Et les trous ? Des impactes de météorites. Qui auraient percé une sorte de paroi, un plafond plutôt d’une cavité. Une cavité ? Et s’il y avait une cavité en dessous ? Mais… ils n’étaient pas venus jusqu’ici pour faire de l’archéologie. Leur mission: retrouver les deux loustics envoyés par Delange pour repérer et renseigner l’éventuelle présence d’un allemand. Brown et … et qui au fait ? Delange ne lui avait pas donné le nom du français ou c’est lui qui ne l’avait pas retenu ? Dilong non plus n’avait rien dit des sergents. « On cherche deux sergents en plein désert et voilà que ceux-ci laissent leur voiture au milieu de nulle part sans la moindre indication pour savoir ce qu’il s’est passé ». Voilà pourquoi Morlet ne dormait pas, son cerveau tournait tout seul en moulinant l’énigme tel un cuisinier qui retournerait une crêpe encore et encore. Il décida d’aller arpenter les alentours. Il remit l’échelle en place pour sortir, puis commença à faire quelques pas. Il frissonna tellement il faisait froid à présent. Il avait laissé la couverture mais il supportait la température ainsi rabaissée, en contrepartie des chaleurs extrêmes du jour en quelque sorte. Cela aiguisait ses sens, pas le moindre souffle de vent sur sa peau, l’odeur du désert faite du sable en train de refroidir mélangée aux fines effluves en provenance des lointaines plaines du sud, et le son étouffé de ses pas. Il s’arrêta pour écouter le silence. Le silence total, complet, intangible et terriblement solennel du désert. Il frissonna une nouvelle fois, une sorte de plaisir dans cette plénitude connue de lui seul. La guerre embrasait le monde et lui était là tout seul en train de humer la nuit. Il regarda la lune et la lune le regarda. Il était l’un de ces innombrables grains de sable, ni plus ni moins. Il se força à ne plus penser. Mais peut-on décider d’arrêter de penser ? Il le fit en fixant une étoile et resta comme cela, comme un sage engagé sur la Voie. Totalement immobile.

Mais…

Mais quoi ?

Un bruit ? Il venait d’entendre un bruit. Tellement ténu qu’il n’était même pas sûr d’avoir entendu un bruit. Il mobilisa encore plus ses sens mais seul le silence se fit entendre. Il attendit. À l’écoute, pour entendre encore ce qu’il avait cru entendre.

Rien.

Il attendit longtemps mais le silence lui parut encore plus patient que lui.

Alors il revint vers l’avion. Il s’arrêta en dessous et son ouïe aiguisée telle qu’elle l’était lui rapporta le ronflement de René et rien d’autre.

Rien d’autre ?

Là c’était sûr il avait entendu quelque chose, non pas un bruit indéfini mais un coup. Oui, c’est ça, un coup. Lointain… et un deuxième coup vint confirmer. Il orienta ses oreilles dans l’espoir de trouver la direction. Un troisième coup, presque inaudible ne lui permit pas de résoudre le problème. Impossible de déterminer une direction. Il repartit explorer l’espace vers toutes les directions possibles: rien. Il s’approcha des trous pour rester l’oreille tendue au dessus: rien. Il attendit encore mais sans plus de résultat. Alors, il prit une pierre et après une courte réflexion la lança dans le trou le plus proche. Cela fit du bruit car la pierre heurta des parois ou d’autres obstacles tout en lançant un son de chocs allant décroissant. Enfin, les résonances ayant accompagné la chute cessèrent, et Morlet comprit que la pierre était arrivée au bout. « Ça a l’air profond » pensa-t-il. Il pensa aussi que la cavité sous ses pieds devait être vaste à cause de la tonalité des résonances de même que leur temps de latence.

Comme rien de plus ne se produisit, il s’abstint de réveiller René. « Attendons le matin ».

Il somnola jusqu’aux premières lueurs du jour. Il descendit avec du café qu’il mit à chauffer au soleil. Labarbe ne tarda pas à le rejoindre.

Morlet aimait bien partager des moments comme cela avec Labarbe. Pas un seul mot de trop, des gestes sûrs, le plaisir de prendre le soleil au petit matin, de jeunes combattant prêts à en découdre le jour même si nécessaire.

— J’ai entendu des coups René.

— Alors ils ne sont pas loin.

— En dessous c’est creux et on dirait que c’est vaste.

— Alors il faut aller voir, mais on n’est pas équipés pour faire de la spéléologie, on n’a pas de corde, même pas de lampes.

— S’il y a du monde en dessous, il y a peut-être une issue pour y aller. Pas les trous, on ne peut pas passer par les trous, on va y rester.

— Il faut la trouver. Heureusement qu’on a nos rangers.

— Et puis il doit faire frais.

— Allons-y maintenant mon colonel, pendant qu’il ne fait pas trop chaud.

— Une dernière tasse René, une dernière tasse.

— On a un jerrycan d’eau, soit un ou deux jours de survie.

Ils mirent une bâche sur le cockpit pour réduire la surchauffe, dans la journée, du poste de pilotage. Et ils partirent prospecter les alentours. Ils commencèrent par rechercher des traces de pas à partir de la Jeep, mais le vent avait lissé le sol, aucune trace en vue. Ils imaginèrent quel avait pu être le cheminement mental des deux sergents pour essayer d’en déduire un scénario applicable aussi par eux-même. Ils décidèrent d’explorer les plus grosses concrétions rocheuses. Au bout d’une heure sans résultat:

— Séparons-nous mon colonel, ce sera plus efficace.

— Tu as raison. Prenons des directions opposées, moi par là, dit-il en désignant l’ouest et toi par là.

— Chacun sa boussole mon colonel, dès qu’on trouve quelque chose, on appelle et l’autre répond.

— Si on a du mal à se faire entendre, coup de feu, répondit Morlet en assurant son révolver à sa ceinture.

— Coup de feu, c’est la consigne, fit Labarbe avec le même geste.

Morlet marcha longtemps avec le soleil dans le dos, il allait contourner chaque accident de terrain dans l’espoir d’y dénicher quelque anfractuosité ou quelque trou, quelqu’entrée de souterrain. mais, au fur et à mesure qu’il s’avançait vers l’ouest, il était envahi d’un doute qui devint certitude: il allait trop loin. Il s’arrêta et la vue d’un lézard s’échappant sous une pierre lui fit prendre conscience que c’était la première manifestation de vie depuis leur arrivée. Il le prit pour une bonne augure. Puis il se mit en route dans l’autre sens. Il revenait vers la « vallée » qui leur avait servi de piste d’atterrissage, et en y revenant, il ne vit plus exactement une vallée. Non, on ne pouvait pas appeler cela une vallée. mais quoi ? Ah oui, il avait trouvé, un affaissement, oui c’est ça, un affaissement de terrain. maintenant, il voyait l’avion et la voiture, clairement garés dans un affaissement de terrain. Mais pourquoi le terrain s’était-il affaissé ? À cause de la cavité ? Soudain les coups se firent entendre. Légers, mais perceptibles. Et nul doute à présent, ils venaient du sous-sol. En même temps qu’il se disait cela, la silhouette de Labarbe se dessina devant à cent mètres. Lui aussi était revenu sur ses pas.

Ils découvrirent l’entrée du tunnel sous la Jeep.

 

Adresse de communication: colonel.spontini@gmail.com

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Publié le 16 Octobre 2022 par Colonel Spontini

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La pureté des sommets

Publié le 10 Octobre 2022 par Colonel Spontini

La pureté des sommets

L'eau "Mont Blanc" que l'on peut trouver en bouteille dans le commerce affiche tous ses avantages sur son étiquette (et aucun défaut). Parmi ceux-ci un bouchon solidaire. Quand on le regarde, ledit bouchon, il est en plastique bleu et il s'ouvre ou se ferme remplissant ainsi son rôle de bouchon. Mais comment reconnaître qu'il est solidaire ? Si on le compare à d'autres bouchons du même genre, on constate des différences de couleurs ou de techniques d'ouvertures, mais aucun indice pour éclaircir le mystère. Et pourquoi seulement le bouchon ? Pourquoi pas toute la bouteille ? Et pourquoi "solidaire" et pas "citoyen" ? Ouvrir un bouchon citoyen doit provoquer des sensations bien plus intenses que celles d'un bouchon solidaire. Faut-il interpeler le gouvernement pour envisager une loi sur les bouchons solidaires ?

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La lune existe-elle quand on ne la regarde pas ?

Publié le 9 Octobre 2022 par Colonel Spontini

La lune existe-elle quand on ne la regarde pas ?

11

 

Une idée c’est comme un humain, elle n’existe pas sans les autres

(François F.)

 

Ce n’est pas très difficile de trouver l’emplacement approximatif de l’ermitage de Klugerman parce qu’il existe plusieurs sites internet de fans qui attendent son retour comme on attend le Messie. « IQin the desert » doit tirer des bourres à « Othon come back » parce qu’ils ne se privent pas de se reprocher pleins de choses impossible à comprendre pour quelqu’un comme moi. Mais pas de contestation sur un emplacement au bout de la route des Navajos. On ne peut pas l’atteindre bien sûr. Donc il est approximatif. À part crapahuter de nuit sans trop savoir vers où se diriger, les options sont rares.

Comment dois-je m’habiller pour pareille équipée ?

Soit j’arrive à rencontrer le génie solitaire et la solution est simple: je m’habille comme d’habitude. Peut-être des baskets plutôt que des chaussures de ville, et un pantalon de toile. Un short ? Hmmm, on n’arrive pas en short chez un génie.

Soit je me casse les dents, c’est le scénario dont la probabilité frise de peu la valeur un, alors que pour l’autre c’est zéro. Mais dans ce cas, il faut anticiper beaucoup de temps dans le désert, donc des chaussures adaptées, de même que les vêtements, un imper paraît superflu mais une grosse gourde et un sac à dos, et bien sûr un chapeau. Quelque chose de simple comme une casquette mais pas de chapeau de cow-boy, si je rencontre quelqu’un, il ne me prendrait pas au sérieux. Personne ne prendrait au sérieux un français sous un chapeau de cow-boy au milieu du Nouveau Mexique. Même ailleurs. Et pour la nuit, une couverture épaisse car les températures nocturnes peuvent descendre très bas. Porter une couverture dans son sac à dos par 45° en plein midi, permet d’appréhender tout ce que la Vie nous offre comme situation cocasses.

Je décide d’acheter tout cela en arrivant et réserve un vol pour Dallas puis pour Albuquerque et après, il faudra voir sur place. Je prends des allers simples parce qu’il m’est difficile d’évaluer le temps que tout cela va prendre.

Les long-courriers relient Paris à Dallas ou Paris à Maurice sans la moindre escale. Pour se dégourdir les jambes, il faut arpenter les couloirs de l’avion, un A350, sans courir parce que cela pourrait affoler les autres passagers. Nous plaisantons de la question avec l’hôtesse qui couve la cabine du regard après quelques heures de vol, en pleine nuit, et la majorité des passagers en plein sommeil. Et pour se dégourdir la tête rien de tel qu’un bon livre. J’ai emporté La clairvoyance d’un taoïsme husserlien de Klugerman et je m’y attaque sans hésitation. Il y développe l’idée que pour asseoir la prétention de la phénoménologie à structurer la philosophie en discipline scientifique il faut en passer par ce qu’il appelle l’errance taoïste. Soit un exercice anti-métaphysique qui ne doit au taoïsme que son abandon de toute élaboration théorique. Je me garde d’aller jusqu’à la fin du livre parce qu’il faut bien dormir un peu mais c’est difficile de ne pas connaître la fin. Alors je vais voir l’hôtesse pour deviser plaisamment mais je la découvre endormie elle aussi. Tout l’avion dort. J’espère que les pilotes sont réveillés. J’en profite pour courir le long des couloirs puis, retourne à ma place terminer mon livre. Une heure avant d’arriver à Dallas, nous voilà en train de siroter du café en avalant des viennoiseries sans goût. Il fait toujours nuit par le hublot mais j’ai une idée plus claire du genre de conversation que je pourrais avoir avec Othon. Une perspective sans avenir bien sûr, mais si le hasard se décidait quand-même à mettre cette option dans mon destin, j’aurais deux ou trois arguments à sortir pour relancer la conversation.

Aujourd’hui, attendre dans un aéroport, c’est comme attendre dans un supermarché. Difficile de trouver un fauteuil qui soit à l’abri des tentations commerciales étalées partout dans les innombrables échoppes. J’attends mon avion pour Albuquerque et le jour se lève peu à peu. Je vais errer devant le kiosque à journaux et les titres parlent d’une affaire entre le gouverneur et un cabinet d’avocats ou plus exactement de lawyers au sujet de concession aquifères. Plutôt que de me casser la tête sur ce micmac, je me rends propriétaire d’un livre de Doug Balance Jr au titre plein de promesses Don’t fly in the deep forest. Il y a un endroit dans une forêt de l’Idaho qui s’appelle Stryker. Au dessus dans la montagne, si on marche quatre jours, on arrive au fond d’une vallée où la végétation n’a pas la même taille qu’ailleurs. Tout est un peu plus grand, les feuilles, les fleurs, les troncs des arbres et même les animaux. Tom, l’un des protagonistes, se retrouve ainsi face à un moineau de la dimension d’un aigle. Tout n’est pas vraiment beaucoup plus gros, mais suffisamment quand-même pour créer une impression d’étrangeté. Pour le moins. Parce qu’après la sensation devient inquiétante, surtout quand le petit groupe aventuré là découvre que leurs paroles n’existent plus. Autrement dit s’ils tentent de parler aucun son ne sort de leurs bouches. Ils pensent pouvoir relier le phénomène avec une ancienne mine abandonnée depuis le XIXème siècle dans laquelle gisent trois squelettes humains. Ni Tom ni ses compagnons n’ont envie de devenir des squelettes et ils décident de rentrer le plus vite possible. Malheureusement Gena tombe dans une crevasse et Luke se casse une jambe. C’est Buddy, le plus jeune et le plus timide qui s’est muni d’un chargeur à capteurs solaires qui réussi à envoyer des signaux de détresse avec son portable. Après l’intervention laborieuse d’un hélicoptère piloté par une blonde, l’équipe se retrouve saine et sauve à Stryker. Mais là, personne n’a jamais entendu parler d’une mine abandonnée. Seul Tom décide d’y retourner pour élucider le mystère. C’est la fin de l’histoire et la suite se trouve dans un autre livre Never fly in the deep forest. Il est l’heure d’embarquer.

Le vol ne dure qu’une petite heure, à peine le temps d’avoir une petite conversation avec le type d’à côté qui m’explique qu’autrefois on pouvait avoir un verre de whisky sans supplément et en plus du bon whisky. Je lui en offre un pour voir de près comment on peut boire un whisky au petit matin. Le liquide ne vient pas dans un verre mais dans une mignonette mais Dick se montre fort reconnaissant et me détaille sa famille: une femme et trois enfants. Il est très fier de ses trois enfants qui marchent plutôt bien dans les études, et de sa femme aussi. Bref un type plutôt gâté par la Vie, mais… pourquoi picole-t-il ? L’atterrissage à Albuquerque m’empêche de creuser le dossier mais, sous le coup des trois gorgées extraites de la petite bouteille, je vois un bonhomme qui va affronter une journée de travail et je ne suis pas certain de vouloir être à sa place.

Dans le hall de l’aéroport en briques rouge je repère un comptoir d’information où je demande s’il est possible de trouver un vol pour Vaughn. Andrew, identifié par son badge arborant ce prénom, m’explique qu’aucune compagnie n’assure de vol pour cette destination. D’ailleurs, c’est la première fois qu’on lui demande une chose pareille. Mais il voit les points d’interrogation dans mes yeux et me conseille d’aller poser la question dans un bar d’Albuquerque qui s’appelle El Gringo Loco . Je me demande jusqu’à quel point je dois lui faire confiance, mais faute d’alternative, je monte dans un taxi et commence à faire une visite improvisée d’Albuquerque. Le chauffeur me demande si je veux parler en anglais ou en espagnol. Je lui réponds que je ne veux pas parler. Il me répond que ça ne fait rien, il peut parler à lui tout seul. Je lui indique que ce n’est pas la peine, mais il m’indique quand même les curiosités à voir le long du chemin. À vrai dire, il n’y a presque rien à voir. C’est une ville de maisons basses, toutes plus ou moins identiques et le boulevard Girard sur lequel nous roulons devient vite monotone. Mais Pablo dont l’optimisme est aussi inoxydable que son pare-chocs m’assure qu’une fois arrivés dans Downtown, j’allais réévaluer mon opinion sur sa ville natale. Nous arrivons dans un quartier plus encaissé et plus ancien mais sans aucun signe d’élégance architecturale ou autre. Albuquerque pourrait tout aussi bien s’appeler Banalitos. Heureusement que nous pénétrons dans Silver street où se tient El Gringo Loco. Son apparence me rassérène illico grâce à cette hélice de DC3 dans la vitrine. Je paie Pablo et le remercie malgré sa volubilité envahissante et me voilà devant un comptoir aussi vaste qu’une piste d’atterrissage. Le type derrière arbore un sourire engageant qui me met à l’aise dans l’instant. Je lui commande un truc sans alcool que je vois sur une ardoise plus un truc à manger que je lis sur une autre ardoise. Et le voilà qui s’empresse vers la cuisine pour gueuler à quelqu’un de me préparer tout ça. Je devance sa curiosité en entamant derechef la conversation autour du fait que je cherche un moyen d’aller à Vaughn, en avion si possible.

— Tu sais pourquoi tu as bien fait de venir ici Leo ?

— Parce que tu vas me trouver une solution à mon problème.

— Tout juste, ici c’est le rendez-vous de tous les aviateurs du coin.

— C’est vraiment ma chance.

— Et tu sais pourquoi on n’est pas dans les environs de l’aéroport ?

— C’est une question qu’on peut se poser en effet.

— C’est parce que il y a une base de l’armée, où ils font des recherches, des trucs ultra-secrets. Certains jours on doit se tenir à distance à cause d’expériences sur lesquelles même les militaires qui viennent ici ne disent rien.

— Je vois.

— Tu veux aller à Roswell ?

— Non.

— En général, les gringos qui viennent ici veulent aller à Roswell, tu sais le site secret où ils ont gardé l’extra-terrestre, pour survoler en avion, comme s’il y avait quelque chose à voir !

— Mais… tu n’est pas un gringo toi ?

— Non, tu dis ça parce que je ne suis pas mexicain. Ici, les gringos, c’est les étrangers.

— Donc c’est moi le gringo.

— Tu es un touriste ?

— Non.

— Et tu veux aller à Vaughn ?

— Oui à Vaughn.

— Ah oui, il y a un aéroport municipal tout neuf là bas.

— C’est possible ?

— Bien sûr.

Il me suffit de passer la nuit sur place dans l’une des chambres disponibles et demain un certain Abe vient me chercher. Le tenancier est un ancien pilote qui ne l’est plus du fait que sa licence lui a été retirée à cause d’une affaire dans laquelle le brave type qu’il est s’est fait traiter ignoblement par la police des frontières. Il a passé quelques année dans un pénitencier où sa bonne conduite a été unanimement reconnue par les autorités qui l’ont ainsi gratifié d’une libération anticipée. Il ne dit rien sur la provenance des fonds nécessaires à l’ouverture de son bar. Moi je lui raconte ma vie d’enquêteur bibliographique et il me dit que j’ai de la chance de faire un métier aussi excitant, ce qui est aussi mon avis.

Silver street n’est pas précisément silencieuse du fait que l’établissement dans lequel j’essaie de dormir n’est pas le seul, il y a en effet d’autres bars de part et d’autre, tous ouverts pendant la nuit et sans doute jusqu’au matin. Le taulier m’ayant précisé que la municipalité n’y voyait rien à redire. La musique mexicaine s’est donc mélangée dans ma tête avec le Noctilux qu’il m’a fallu prendre.

Abe arrive au moment où je termine des œufs brouillés mélangés avec des haricots rouges et des saucisse de la même couleur accompagné d’un savoureux café bien meilleur que ceux servis dans les bistrots parisiens.

Abe se pose devant moi et ne dit rien. Il refuse d’un geste le café que je lui propose et attend. Il est grand, large et n’a pas retiré de sa tête la casquette kaki qui s’y trouve. Le taulier m’a dit qu’il est timide. Avec sa carrure il pourrait se permettre de ne pas l’être, mais la carrure ne commande pas le caractère et l’inverse, c’est pareil. J’ai l’impression que si je passais la journée assis comme ça à manger ou lire un livre, il attendrait patiemment. Comme le taulier lui a tout expliqué, on n’a pas besoin d’en dire plus mais le silence dans la voiture, en route pour l’aéroport, s’avère pesant et j’en viens presque à regretter Pablo.

— Vous êtes marié Abe ?

Ça m’est sorti comme ça, tout seul, une curiosité impérative. Bien sûr sa réponse n’est qu’un hochement de tête. Un hochement de haut en bas. Il est marié. Sa femme dispose d’une solide tranquillité.

— Et des enfants ?

Ses gestes finissent par indiquer deux filles et un garçon. Ça fait des interlocuteurs pour la mère.

Je ne lui demande pas dans quel type d’avion nous allons voler car mimer une marque risque d’être délicat. Nous arrivons devant un hangar dédié aux avions privés et nous nous arrêtons devant pour y pénétrer et ressortir de l’autre côté où se trouve un Beechcraft Bonanza bleu et orange. Un petit monomoteur de quatre places. Bien équipé puisque le tableau de bort contient tous les instruments dernier cris qu’il faut avoir pour la navigation. Un écran vidéo qui rassemble et affiche les données de vol.

Abe m’inspire une confiance sans faille et son décollage se fait en douceur après une courte accélération sur la piste. Dans le micro et le casque, il parle.

— On va arriver dans 58mn, ça va ? Bien installé ?

— Content de t’entendre Abe.

— Ils me disent tous ça.

— Les clients ?

— Oui, ça doit les rassurer.

— Certainement.

— Tu vas rester à Vaughn ?

— Non, je vais plus loin.

— Pour le boulot ?

— Oui.

— Roswell ?

— Non, Carolita, dans les parages.

— Ah, le f… heu… le professeur ?

— Tu connais ?

— Tout le monde connait… sans l’avoir jamais vu.

— Oui je sais, normalement on ne peut pas le voir.

— Mais toi si ?

— Hmmm… on rentre en zone de confidentialité.

— On entre aussi dans la zone de la balise.

— La zone de quoi ?

— De la balise. Il n’y a pas de tour de contrôle à Vaughn, ni personne pour parler dans la radio, seulement une balise automatique.

— Il fait chaud ?

— Non ça va, 37° seulement, une journée fraîche. On t’attend ?

— Non.

— Il n’y a qu’un seul bar à Vaughn, une station-servie, tu n’auras pas de mal à le trouver. Tu diras bonjour à Marta de ma part.

— Je n’y manquerai pas.

Et me voilà tout seul en plein soleil sur un tarmac désert équipé d’un seul hangar fermé.

Abe passe au dessus de ma tête en agitant les ailes en signe d’au revoir.

Je regarde autour et, sauf vers l’ouest, il n’y a que du désert, du désert plat et du désert en relief, rouge et ocre sans aucune tache verte de végétation. Vers l’ouest s’étend Vaughn, s’étend est peut-être exagéré puisqu’il y a moins d’une vingtaine de bâtisses en train de croupir sous la chaleur. Je me mets en route en tirant ma valise à roulettes, bien certain que la poignée d’individus qui vit là m’a repéré depuis longtemps. Je n’ai aucun mal à trouver la station-service. Dehors personne, dedans c’est vide. Je vais m’installer à une table.

Je regarde la rue principale où personne ne passe, depuis que je suis arrivé je n’ai vu personne. Puis je me retourne pour découvrir, à ma grande surprise, qu’une femme s’est matérialisée derrière le comptoir. Une belle femme souriante dont le corps proclame avec panache sa victoire sur l’anorexie.

— Hello darling, bienvenue à Vaughn.

J’apprécie l’accueil, moi qui pensais débarquer chez des taiseux qui m’observeraient avec suspicion en relevant d’une chiquenaude leur chapeau qu’il gardaient même au lit. Je fait donc mon meilleur sourire à la dame.

— Vous êtes Marta je présume ?

— Tout juste jeune homme, vous avez mis dans le mille.

— Puis-je laisser ma valise ici, et m’installer là ?

— Certainement, tu peux même t’installer ici et mettre ta valise là.

— Vous servez à manger ?

— Et même à boire darling, attends j’arrive.

Et en dépit de sa généreuse constitution, Marta s’avance gracieusement pour venir mettre ses seins sous mes yeux alors qu’elle se penche pour poser son carnet de commandes sur la table.

— Je peux te faire des tamales avec du ragout dedans.

— Excellente idée, avec un jus de fruit.

— Tu choisis celui que tu veux. Dit-elle en me désignant l’armoire réfrigérée remplie de canettes diverses.

— La bleue.

— Ok, tu t’appelles comment ?

— Leonard.

Elle retourne vers la cuisine s’affairer à préparer ma commande en produisant des sons d’ustensiles entrechoqués. Pendant ce temps, je regarde dehors. Où regarder d’autre ? Et un pick up comme seuls les américains en fabriquent, c’est à dire énorme, noir passe, puis repasse en sens inverse pour venir se garer sous mon nez, ou plutôt sur mon nez, tellement il est haut. C’est madame Davy Crockett qui en descend. Les restes d’un castor avec la queue sur la tête, la veste en peau avec des franges sur les épaules et des mocassins issus de l’artisanat local aux pieds. Curieusement, elle ne porte pas de fusil dans les bras. Elle entre et va s’accouder au comptoir d’où elle se met à me dévisager.

— Bienvenu à Vaughn l’ami.

Décidément, on n’a pas tort de venir ici.

— Merci madame, j’apprécie votre accueil.

— Moi c’est Minie.

— Moi c’est Leonard.

— Et tu viens visiter la région Leonard ?

C’est à ce moment que Marta revient de sa cuisine. Les deux femmes se fixent.

— Minie, tu ne vas pas chasser aujourd’hui ?

— Si, répond Minie en me regardant de façon entendue.

— Tu veux boire quelque chose avant de partir ?

— Te déranges pas pour moi Marta, continue de préparer le déjeuner de Leonard.

Mais Marta reste, histoire d’occuper le terrain, et Minie débite quelques banalités que je ne comprends pas. Soudain une odeur vient interrompre les choses, une odeur en provenance de la cuisine. Marta est obligée d’y retourner ce qui permet à Minie de me regarder avec un sacré sourire de satisfaction auquel elle tâche d’ajouter une touche engeoleuse. Mais l’opération ne m’inspire aucune idée sensuelle ni même d’idée d’idée, car les bras de Davy Crockett ne sont pas exactement appropriés à des choses de ce genre. Puis Marta revient derrière une assiette remplie de tamales et de maïs avec des choses vertes en plus. Elle la dépose devant moi avec autorité et, avec tout autant d’autorité, va vers les canettes pour m’approvisionner avec la petite sœur de celle que j’ai déjà bue. En se plantant devant Minie, les mains sur les hanches, elle contraint l’autre à mettre les bouts plutôt qu’à tenter l’escalade. Je m’attelle à mes tamales pendant que Marta me couve du regard faute de me couver autrement, telle une poule et son poussin. Je lui propose de boire le café avec moi après l’avoir complimentée sur sa cuisine.

— Je dois aller à Carolita Marta, il me faut une voiture pour cela.

— Pourquoi tu vas là-bas ? Y’a rien du tout.

— J’aimerais t’en dire plus long (dans les yeux) malheureusement je suis tenu par le secret professionnel. Je suis sûr que tu comprends.

— Oui, bien sûr que je comprends, soupire-t-elle.

— Ensuite je reviendrai…

Sourire et café dans les tasses.

— C’est chez Molly que ça se passe.

— C’est Molly qui loue des voitures ?

Elle soupire.

— Elle loue sa voiture, une hybride Toyota.

— Et elle me la louera ?

— Bien sûr qu’elle te la louera, elle n’a rien d’autre à faire.

— Où puis-je la trouver ?

Nouveau soupir.

— Attends, je l’appelle.

Elle parle à Molly dans son portable et, autant que son accent me laisse comprendre l’échange, les deux femmes insistent pour que l’opération se passe sur leur territoire. Molly m’attend de pieds ferme chez elle alors que Marta lui enjoignait de rappliquer à son bar. En sortant j’entends un verre qui se casse et je me dirige vers l’unique deuxième rue de Vaughn qui coupe à angle droit celle sur laquelle je suis, la rue principale Vargas Str., l’autre s’appelle Parsons Walk.

Je découvre Molly en train de passer au jet sa voiture blanche et rouge. Grand sourire et coup de chiffon, elle vient m’en serrer une. Une très belle quadragénaire toute mince avec de longs cheveux châtain. Je dois reconnaître que son charme dépasse celui de mes deux autres connaissances locales. Elle tient à me faire examiner l’engin roulant sous toutes les coutures en se maintenant aussi proche que possible comme si elle voulait s’enquérir de mon odeur. Ma dernière douche datant du matin, elle n’a pas du être déçue. Nous nous mettons facilement d’accord sur les termes du contrat de location. J’ai la voiture aussi longtemps que je veux à raison de 30 dollars par jour et si je veux passer la nuit à Vaughn, elle a une chambre de disponible pour le même prix. Je décline avec maint remerciements en déclarant avoir déjà retenu une chambre chez Marta.

— Elle peut annuler, elle loue à 35 dollars.

Je lui explique que ça ne se fait pas, que je suis un gringo ici, que je ne veut être discourtois avec personne etc etc… son soupir me va droit au cœur mais si je me mets au diapason des femmes, mon avenir risque de manquer de prévisibilité, déjà qu’il n’en pas beaucoup.

Où passer la nuit ?

Seule option: la chambre de la station-service de Marta.

— Tu as réglé la location ? Molly n’a pas demandé trop cher ?

— 30

— C’est cher, moi je l’aurais faite à 25.

— Tu me loues une chambre Marta ?

— Oui, je vais te mettre dans la meilleure, la plus grande.

— Merci, tu la fais à combien ?

— 40.

— Très bien, je vais déposer ma valise.

— Ça y est, elle y est déjà.

— Dans la chambre ?

— Ben oui.

— Ok, très bien, qu’est-ce qu’on mange ce soir ?

— Des tamales.

— Avec du ragout ?

— Non avec des gumbos.

— Je salive d’avance.

Et je pars faire un tour dans la clim de la Toyota de Molly.

La sono est excellente et Tom Waits se met à chanter alors qu’en ouvrant les divers compartiments du tableau de bord, je découvre une boîte neuve de préservatifs.

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Savoir ne pas savoir

Publié le 27 Septembre 2022 par Colonel Spontini

Savoir ne pas savoir

10

 

Savoir ne pas savoir (Tchong Cheou Qi)

 

— Monsieur Zantor ?

Décidément les gens se sont mis d’accord entre eux pour m’appeler à 6 heures du matin.

— Je ne vous dérange pas ?

— C’est fait, j’espère que votre appel a un motif sérieux sinon je raccroche.

— Oui, le motif est sérieux mais l’heure est indue, je le reconnais. Je suis un matinal et cela me vaux de devoir me coucher tôt si je veux mes huit heures de sommeil.

La voix de Dufour.

— C’est vous Dufour ?

— En effet, je vous appelle pour savoir si ma proposition vous intéresse toujours.

— Quelle proposition ?

Je suis enfumé dans ma tête et les idées sont loin d’être alignées dans l’ordre sur les étagères de ma mémoire.

— Klugerman.

J’entends des synapses, dans ma tête, en train de s’apprêter à ouvrir les vannes des neurotransmetteurs et petit à petit Klugerman revient à la surface.

— Ah oui, Klugerman.

Le type au Nouveau Mexique, protégé par des Navajos, comme dans un film de ….

Après tout, rien de mieux que de se changer les idées quand on est confronté à un problème qui ne se laisse pas faire. Le soleil du Nouveau Mexique et, qui sait, une révélation sortie du cerveau d’un cinglé, la cerise sur une mission impossible. Mais… dans quel guêpier Dufour le menteur, voire Dufour le voleur va-t-il m’envoyer ? Si je vais le voir pour parler de la lettre ça ne servira à rien certainement, qui a menti mentira. Et que va-t-il faire de la lettre pendant que j’aurai le dos tourné ? À moins que…

— Vous êtes partant ? Ou je dois trouver quelqu’un d’autre ?

— Non, j’aime les missions impossibles, j’accepte mais à une condition.

— Laquelle ?

— Le mieux serait de se voir, disons demain, ça vous va ?

— Hmmm, pourquoi pas, venez donc chez moi pour en parler.

— Je préfère le « Tatillon », ce n’est pas loin de chez vous.

— Ok, réservez-donc pour 20h.

Je compte bien me faire inviter, car j’ai au fond de moi la sensation que l’argent de Dufour mérite d’être dépensée par moi et pourquoi pas commencer demain ?

Le « Tatillon » est le seul endroit au monde où Les Trois Viandes AuX Cinq Saveurs vous transportent dans une dimension d’extase indiscible, transformant une soirée banale en cérémonie initiatique d’où vous ressortez transfiguré pour toujours. Vous pouvez même commencer par une mise en bouche diabolique constituée d’un tartare de veau assaisonné d’épices magiques. La dernière fois que j’y suis allé c’était avec ma petite famille pour fêter les diplômes du fiston.

Je réserve donc pour le lendemain et ensuite j’appelle un autre de mes collaborateurs occasionnels dont je vais avoir besoin. Mes mercenaires ne sont peut-être pas salariés par une maison comme PIP mais on travaille toujours très bien ensemble. En plus on est amis.

Tran Van Dong est un garçon qui sort de l’ordinaire pour plusieurs raisons. Il porte le même nom que son grand-père vietnamien auteur du coup d’état contre Diem, du temps des français. Sans doute influencé par celui-ci, son respect de la Loi peut être remis en question sous l’effet de la nécessité. En cela il me rappelle ma grand-mère qui a toujours gardé un révolver chargé dans sa table de nuit, elle disait que le cambrioleur qui entrerait par la fenêtre, ce n’était pas la Loi qui le neutraliserait. Mais n’allez pas croire qu’il était mauvais citoyen car jamais je ne m’associerai avec un délinquant, dans mon métier la respectabilité est primordiale. Il a fondé un conglomérat qui porte son nom et qui emploie la totalité de sa famille. C’est comme un Chaebol sud coréen, les activités y sont nombreuses: commerce, transports, services techniques, nettoyage et opérations boursières. Il est toujours disponible pour moi. Sacré avantage ! Il décroche tout de suite et après de brefs échanges de politesse, je lui donne mes consignes. Dufour ne saura pas que le budget qu’il va devoir m’attribuer pour aller au Nouveau Mexique va devenir aussi. celui qui servira à rétribuer Tran.

Le « Tatillon » est bien plus stylé que le … de Fulham dans le sens que le personnel est plus discret dans ses attentions. J’ai demandé une table dans un coin pour pouvoir conspirer à l’aise. Dufour, du fait de sa santé vacillante, ne peut guère faire honneur à la spécialité de la maison, qu’il picore quand-même pour ne pas créer de malaise, de même qu’il boit quelques gouttes du Croze Hermitage que je ne peux quand-même pas finir tout seul.

— Quelle est-elle cette condition ?

Je sors un contrat.

— Je m’engage à tout faire pour répondre à votre demande, mais vous, de votre côté, vous devez vous engager à ne pas vous retourner contre moi si j’échoue.

— Mais vous n’échouerez pas, n’est-ce pas ?

— Tout peut arriver.

— Je comprends.

— Alors nous pouvons signer.

Pas d’hésitation dans son geste. Ça ne lui pose pas de problème.

— Maintenant, parlez-moi de Klugerman.

Il empoigne une petite cuillère pour se mettre à jouer avec le duo litchies-framboises qu’il n’a pas entamé. Pendant ce temps je mets une partie du contenu de la bouteille de vin dans mon verre avec l’objectif de le transvaser dans mon gosier dans moins d’une heure.

— C’était un type exceptionnel.

— Pourquoi « c’était » ? Il est toujours vivant non ?

— Oui, vous avez raison, il doit toujours être aussi brillant, que dis-je exceptionnellement brillant, en fait c’était heu… c’est un génie, et je peux vous assurer qu’il n’existe pas grand monde que je qualifierais ainsi en dehors de lui.

— Et vous avez une idée du genre de cogitations qu’il pourrait avoir dans la tête ?

— Difficile à dire, mais on sait, enfin il y en a qui pensent savoir qu’il a changé de sujet d’étude, il est passé à la philosophie des sciences.

— Et ceux qui pensent ça, pensent encore autre chose ?

— Oui, mais sous réserve, ils pensent qu’il s’est mis aux mathématiques en un temps record.

— Quelle branche des mathématiques ?

— Il se serait intéressé à la conjecture de Riemann avec, sans doute l’idée de la démontrer. Quand une conjecture est démontrée, elle devient un théorème. La conjecture généralisée de Riemann est l’une des plus attirantes pour les mathématiciens du monde entier, mais elle reste une conjecture et jusqu’ici personne n’a réussi à démontrer qu’elle est vraie ou fausse. Mais deux chercheurs, Miller et Bach, ont trouvé que si l’hypothèse de Riemann est vraie alors l’algorithme qu’ils ont inventé ne peut jamais se tromper. C’est un algorithme qui est très utilisé dans les ordinateurs dans tous les domaines. Il est d’une grande efficacité pour trouver les nombres premiers en « temps polynomial » c’est à dire rapidement. Donc pour résumer: si la conjecture de Riemann généralisée est vraie, l’algorithme de Miller et Bach ne peut pas se tromper. Vous comprenez pourquoi le monde des mathématiciens est quelque peu obsédée par la conjecture de Riemann. À la fois parce que les conséquences seraient essentielles en informatique mais aussi parce que réussir la démonstration transforme son auteur en héros. Et Klugermann avec sa tête de génie… allez savoir…

— Mais, c’est une mission impossible que vous me demandez-là. S’il ne veut voir personne, il ne voudra pas me voir.

— Je sais, mais je vous demande d’essayer quand-même.

— Moi je veux bien, je ne connais pas le Nouveau Mexique et ça me plairait bien d’aller y voir avec mes yeux les paysages et les gens.

— Moi avec ma santé…

— Oui ce serait un gros effort de faire le voyage.

— Exactement.

— Heu…

— Oui ?

— Il faut que je vous dise une chose.

— Allez-y on est là pour ça.

— Dans mon métier, je m’impose une règle que je ne transgresse jamais volontairement. Il se peut que les circonstances m’apportent la réponse, mais je ne la cherche jamais de mon propre chef.

— De quelle réponse s’agit-il ?

— Il s’agit de la réponse à la question « quelle est la motivation de mon client ? ».

— Ah… vous voulez savoir pourquoi je vous demande de faire un truc aussi bizarre ?

— Oh, j’en ai fait pas mal des trucs bizarres et… non… je ne veux pas savoir…

— Si vous ne savez pas, il va vous rester un grumeau dans la tête qui va vous embarrasser. L’incertitude est un puissant poison. Je le sais très bien.

— Vous n’êtes pas obligé et moi je suis tenu par mon code déontologique.

— J’ai travaillé sur de nombreux sujets dans ma carrière et j’ai écrit de nombreux livres, comme entube ton prochain… mais depuis entube vous voulez savoir combien j’en ai écrit ?

— Dites.

— Trois. Trois de plus, j’ai une facilité d’écriture qui me surprend encore et pourtant ça fait longtemps. Le problème c’est mon éditeur.

— Vous avez du mal à vendre ?

— Dans le mille, vous avez mis dans le mille. Si j’écris encore un livre qui se vend aussi mal que le dernier, mon éditeur ne m’édite plus.

— Je vois et si je vous rapporte une idée du génial Klugelman, ça pourra donner matière à un livre qui fera un carton.

— On ne peut rien vous cacher.

— Remarquez, comme il est quasi certain que je ne le verrai pas et que ne reviendrai pas avec une idée géniale dans ma valise, je pourrai vous raconter mon expédition à partir de quoi vous écrivez votre livre.

— Oui mais mon éditeur n’en voudra pas.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il n’édite que des essais de sciences humaines.

 

Dufour m’invite, comme prévu, mais je ne peux m’empêcher d’éprouver un peu de compassion pour ce bonhomme en mauvaise santé physique et éditoriale. en le voyant chercher sa carte de crédit dans le portefeuille niché dans sa poche intérieure. Mais je crois que mon émotion provient aussi d’un autre constat: s’il veux s’approprier les idées des autres c’est parce que lui-même n’en a plus. C’est triste un intellectuel qui manque d’idées. C’est aussi triste qu’un politicien qui manque d’ambition. Ou qu’un cueilleur de champignons qui ne sais plus où sont les coins où ils poussent.

 

Je le raccompagne jusqu’à sa porte et lui souhaite bonne nuit.

Dans la nuit de la petite rue du 14ème arrondissement, j’empoigne mon portable pour prendre connaissance du message arrivé pendant que nous étions au restaurant. C’est Tran. Son message est succinct puisqu’il se compose d’un main avec le pouce dirigé vers le haut. Autrement dit, l’expédition de Tran, dans l’appartement de Dufour, au moment où nous étions au « Tatillon » s’est conclue par un succès. Il a trouvé ce que je lui ai demandé de trouver: la lettre de Mandeville.

Je file vers les Olympiades dans le 13ème arrondissement pour le rencontrer dans ses bureaux, quelque part dans les sous-sols sous la dalle.

— Tu as trouvé ?

— Oui mais c’est un malin ton type.

— Je sais mais pourquoi tu dis ça.

— Il a fait comme dans « la lettre volée ».

— La nouvelle d’Edgar Poe.

— Oui où l’on voit que la meilleure cachette pour un objet c’est de le laisser en évidence.

— Il a fait ça ?

— Oui, il ne pouvait pas savoir que moi aussi j’ai lu la nouvelle.

— Elle était où ?

— Devine.

— Sur son bureau ?

— Non.

— Sa table ?

— Non.

— Son lit ?

— Non.

— Derrière sa chasse d’eau.

— Non.

— Ok dis-moi.

— Son frigo.

— Son frigo ?

— Oui, collée sur la porte avec un magnet KFC.

— Un aimant.

— C’est pareil.

 

Tran me remet la lettre qu’il a glissée dans une enveloppe scellée en silicone renforcé histoire de conclure sa mission en mode « clean et carré ».Tran est un perfectionniste qui proclame volontiers qu’un travail mal fait déshonore son auteur, il faut être « clean et carré ».

Je repars chez moi avec le précieux document dans ma poche.

Une fois dans ma cuisine, je fais chauffer l’eau d’un thé vert japonais, je m’assieds devant la table, je regarde le frigo avec un sourire et je pose l’enveloppe sur la table.

J’attends que le thé soit prêt pour le boire et ouvrir la missive. Après la première gorgée, je prends l’enveloppe, la décèle et attrape la précieuse lettre entre le pouce et l’index préalablement lavés.

Je déploie la lettre de papier ancien recouvert d’une écriture à la plume d’une encre ancienne aussi et… et… je découvre une réponse fort enjouée du Général de Gaulle à André Malraux pour l’envoi de esquisse d’une psychologie du cinéma et pour lequel il le remercie.

Et il lui promet qu’il va le lire.

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Un bon roman, c'est plus qu'un plaisir, c'est un nécessite (Michel Houelbecq)

Publié le 1 Septembre 2022 par Colonel Spontini

Un bon roman, c'est plus qu'un plaisir, c'est un nécessite (Michel Houelbecq)

J’ai toujours été surpris qu’on honore les écrivains. Avec une constance regrettable, les meilleurs auteurs s’accordent à nous décrire un monde sans espoir, ravagé par le malheur, peuplé d’êtres humains le plus souvent médiocres, et parfois ouvertement méchants. Dans ce monde, le bonheur, la vertu et l’amour n’ont pas leur place, ils ne sont pas chez eux ; ils n’apparaissent que comme des îlots surprenants, presque miraculeux, au milieu d’un océan de souffrance, d’indifférence et de mal.

Pire encore, les auteurs eux-mêmes sont très souvent obsédés sexuels, parfois pédophiles, presque toujours alcooliques, et parfois utilisateurs d’autres drogues encore plus dangereuses ; je suis par exemple pour ma part, depuis plus de quarante ans, un fumeur lourdement dépendant. S’ils ont besoin de tout ça pour parvenir à supporter l’existence, c’est que la vision du monde qui est la leur — et qu’ils tentent, de leur mieux,de nous faire partager — est une vision de désolation et d’épouvante

Dans ces conditions, est-il vraiment légitime de récompenser ces gens, et de les désigner à l’admiration des populations? Oui.

La littérature ne contribue nullement à l’augmentation des connaissances, pas davantage au progrès moral humain ; mais elle contribue de manière significative au bien-être humain, et cela d’une manière à laquelle ne peut prétendre aucun autre art.

Je vais être obligé de faire des remarques détachées, assez indépendantes, pour vous expliquer comment j’en suis parvenu à cette conviction.

Comme la plupart des gens, j’ai découvert le plaisir avant de découvrir la souffrance. Pour les enfants, le plaisir le plus courant est la gourmandise ; je n’étais pas un enfant très gourmand. Un peu plus tard, j’ai découvert la sexualité ; là, par contre, j’ai tout de suite beaucoup aimé. Et, ensuite, c’est à peu près tout ; aucune autre découverte majeure à signaler.

Ça n’a rien à voir avec mon sujet, mais quand même, c’est étonnant: depuis des millénaires, l’ingéniosité humaine s’emploie à créer de nouveaux objets, de nouveaux produits ; depuis plusieurs siècles, elle s’appuie sur l’industrie et sur le capitalisme, ce qui a beaucoup accéléré le processus. Jamais elle n’a réussi à produire quoi que ce soit qui s’approche même de très loin, qui arrive à la cheville de la sexualité qui vous est donnée par la simple existence de votre corps.

Pourtant la sexualité, et plus encore la gourmandise, ne touche que des zones restreintes du corps humain ; la souffrance par contre, que l’on découvre en général plus tard, et que l’on connaît de mieux en mieux à mesure que l’on avance en âge, peut s’attaquer à n’importe quelle partie du corps, la variété des souffrances endurées est très grande ; il n’y a malheureusement aucun doute: la souffrance est plus riche, plus variée que le plaisir.

Je ne crois pas à la peur de la mort. Je rappelle le raisonnement d’Épicure: quand nous sommes, la mort n’est pas, et quand la mort est, nous ne sommes plus ; nous ne rencontrerons jamais la mort, nous n’avons rien de commun avec elle. Ce raisonnement est simple, il est convaincant et exact. La seule peur que nous puissions avoir, c’est celle de la mort des autres, de ceux qui nous sont chers. Et la seule peur que nous ayons pour notre propre compte, c’est la peur de la souffrance.

La Révolution française a été d’une férocité épouvantable ; à certaines périodes, on a littéralement guillotiné à la chaîne. Ma thèse est que, dans la file de ceux qui «attendaient à leur tour», comme dit Pascal, aucun n’avait peur de la mort, d’autant moins que presque tous, à l’époque, étaient catholiques, et persuadés qu’ils allaient rejoindre aussitôt leur Créateur. Par contre, tous avaient peur de ce moment terrifiant, ce moment inédit où la lame allait trancher leur cou, jusqu’à ce que leur tête se sépare de leur corps.

Eh bien, dans la file de ceux qui «attendaient à leur tour», un bon nombre lisaient ; et, parmi ceux qui lisaient, de nombreux témoignages l’attestent, certains, juste avant d’être saisis par les aides du bourreau pour être traînés à l’échafaud, ont placé le signet à la page exacte où ils en étaient restés — tous les livres, à l’époque, avaient des signets.

Qu’est-ce que ça veut dire, dans ces circonstances, de placer le signet? Ça ne peut vouloir dire qu’une seule chose, c’est qu’au moment où il lisait, le lecteur était tellement plongé dans son livre qu’il avait complètement oublié qu’il serait décapité dans quelques minutes.

Quoi d’autre qu’un bon roman pourrait produire cet effet? Rien.

Il y a peu de chances qu’une nouvelle Révolution française se produise dans un futur proche, malgré l’existence de Jean-Luc Mélenchon. Mais il y a une autre situation, assez angoissante elle aussi, qui s’est beaucoup développée depuis un siècle, et qui est appelée à se développer encore: celle des examens médicaux. Il y a un siècle, on n’avait que la radiographie, les rayons X ; maintenant on a le scanner, l’IRM, et d’autres choses encore, plus récentes. C’est très bien ; la médecine progresse. Mais les individus se trouvent confrontés, et de plus en plus fréquemment à mesure qu’ils avancent en âge, à des situations où ils attendent le résultat d’examens dont va dépendre leur vie pendant les prochains mois, voire les prochaines années, et dont va peut-être dépendre, aussi, le temps qui leur reste à vivre.

On est là, dans la salle d’attente, peut-être une heure, peut-être deux, c’est normal, les médecins ont besoin de temps pour interpréter les résultats.

Qu’est-ce qu’on peut faire, dans une telle situation? Exactement la même chose que faisaient les aristocrates condamnés à la guillotine: lire.

La musique ne convient pas, la musique fait trop intervenir le corps, qu’on cherche justement à oublier. Les arts plastiques sont complètement hors sujet. Et le cinéma, même s’il s’agit d’un thriller passionnant, ne suffit pas tout à fait non plus.

Il faut un livre, donc ; mais c’est encore plus difficile que ça: tous les livres ne sont pas adaptés. Ni la philosophie, ni la poésie ne peuvent faire l’affaire. Une pièce de théâtre, oui, à la rigueur ; mais le mieux, c’est quand même d’avoir un bon roman sous la main. Il faut de toute façon impérativement une narration, et de préférence une fiction, la biographie n’atteint jamais à la puissance du roman.

Quand j’étais jeune, je pensais que la poésie était un genre littéraire supérieur à tous les autres ; je le pense encore d’ailleurs, dans une certaine mesure. Il est vrai que l’association du son et du sens, auquel s’ajoute parfois l’évocation de certaines images, donne des résultats incommensurables à toute autre production littéraire.

Alors oui, je continue à penser que la poésie est ce qu’il y a de plus beau ; mais j’en suis venu à penser que le roman est ce qu’il y a de plus nécessaire.

Dans mon dernier roman, Anéantir, le personnage principal se trouve à la fin dans une situation extrêmement angoissante. Il est atteint par un cancer, et pour avoir une chance de survivre, il doit se soumettre à des opérations mutilantes, tellement mutilantes que les chirurgiens hésitent à lui proposer.

Mais c’est dans une autre circonstance de son traitement, pas spécialement angoissante, juste physiquement pénible, qu’il redécouvre les bienfaits du roman. Il doit subir des perfusions pendant quatre à six heures ; et pour oublier la perfusion, pour éviter d’être constamment envahi par le désir de l’arracher, ce qu’il trouve de mieux à faire, c’est de lire Conan Doyle.

Je rappelle rapidement que Conan Doyle est un auteur anglais, qui a écrit à mon avis beaucoup de très bonnes choses, mais dont l’œuvre la plus célèbre est sans aucun doute le cycle de nouvelles mettant en scène Sherlock Holmes.

Là, je voudrais attirer votre attention sur un point, parce que ce choix de Conan Doyle pourrait prêter à confusion. On pourrait croire que la qualité la plus importante d’un roman qui doit aider à s’évader d’une situation mentalement pénible — perfusion longue, attente d’un résultat d’examens — c’est d’être ce que les Anglo-Saxons appellent un «page-turner», c’est-à-dire un livre tellement captivant qu’on a beaucoup de mal à s’arracher à sa lecture.

C’est une qualité importante, très importante, c’est vrai ; mais je ne crois pas que ce soit la plus importante.

Je vous invite à une expérience simple. Allez à la plage, un bel après-midi d’été. Plongez-vous dans une nouvelle de Sherlock Holmes. En moins d’une page, si Conan Doyle en a décidé ainsi, vous vous trouverez plongé à Londres, par une nuit d’hiver froide et pluvieuse, alors que la brume envahit les rues, ou peut-être dans l’appartement de Baker Street, où le poêle à charbon ronronne doucement. Conan Doyle nous transporte où il veut, quand il veut, et dans l’intimité des personnages qu’il a choisis. Et il lui faut, réellement, moins d’une page.

On pourrait attendre d’une lectio magistralis que je vous indique comment il fait, quels sont les détails pertinents qui transportent le lecteur dans le monde que l’auteur a créé. Mais en réalité non. Tous les écrivains n’ont pas la même méthode, simplement déjà parce que leurs univers perceptifs sont différents.

On pourrait alors s’attendre à ce qu’un écrivain se livre à l’exercice sur une page de ses propres livres, ce serait ce qu’on appelle des travaux pratiques. Mais en réalité non. On ne peut pas, parce que la réflexion consciente ne joue aucun rôle, on sent au moment où on écrit ce qui est important, mais on l’oublie aussitôt, dès qu’on est passé à une autre page. Parfois on le retrouve, en se relisant, des années plus tard, on se dit: tiens, tel ou tel détail n’est pas mal ; mais c’est exactement comme si le livre avait été écrit par quelqu’un d’autre.

Il est donc en général inutile, lorsqu’on se demande pourquoi certaines pages sont de la bonne littérature, de demander une explication à l’auteur ; il n’en sait rien. Il vaut beaucoup mieux laisser à l’universitaire le soin de repérer les détails importants, les idiosyncrasies, les méthodes.

Je suis certes un auteur, mais je suis surtout, dans ma vie, un lecteur ; j’aurai passé beaucoup plus de temps à lire qu’à écrire. Et ma vie de lecteur, contrairement à ma vie d’auteur, m’a conduit à certaines conclusions définitives, qui seront celles de ce bref discours.

La raison d’être fondamentale de la littérature romanesque, c’est que l’homme a en général un cerveau beaucoup trop compliqué, beaucoup trop riche pour l’existence qu’il est appelé à mener. La fiction, pour lui, n’est pas seulement un plaisir ; c’est un besoin. Il a besoin d’autres vies, différentes de la sienne, simplement parce que la sienne ne lui suffit pas. Ces autres vies n’ont pas forcément besoin d’être intéressantes ; elles peuvent être parfaitement mornes. Elles peuvent comporter beaucoup d’événements, de grande ampleur ; elles peuvent n’en comporter aucun. Elles n’ont pas forcément besoin d’être exotiques ; elles peuvent se dérouler il y a cinq siècles, dans un continent différent ; elles peuvent se dérouler dans l’immeuble d’à côté. La seule chose importante, c’est qu’elles soient autres.

Ce besoin d’autres vies est peut-être politique, au sens large ; mais aucune solution politique valable ne semble, jusqu’à présent, avoir été proposée. Je crois plus probable qu’il soit, avant tout, intime, physique, émotionnel ; mais, là non plus, aucune solution pertinente ne semble s’être dégagée.

Je ne crois pas du tout qu’il passe par le virtuel ni les métavers ; tout ça, c’est du flan. La vérité est que la littérature reste la seule, jusqu’à présent, à faire le travail.

Bien entendu, ce besoin d’autres vies atteint son maximum d’intensité lorsque les circonstances de sa propre vie deviennent douloureuses et pénibles. C’est pourquoi, malgré tout ce que je disais au début, il est peut-être justifié d’honorer les romanciers.

 

Michel Houelbecq lors d'une conférence en Sicile

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